PRÉVENTION SANTÉ

La procrastination au travail : un révélateur puissant pour l’entreprise

La procrastination, ce comportement où l’on choisit de soi-même de repousser au lendemain ou d’abandonner une tâche prévue, questionne autant qu'elle fascine. Certains, comme Piers Steel, un spécialiste comportemental, la définit comme « le fait de retarder volontairement une action prévue alors que l’on s’attend à des conséquences néfastes pour soi-même ». Elle s’invite souvent tous les jours et dans tous les aspects de notre vie : les études, la gestion de notre santé, le travail, les tâches administratives, et même dans nos relations. Ici, nous allons nous focaliser plus particulièrement sur la procrastination au travail qui ne se limite pas à un simple manque de volonté ou à un problème de gestion du temps. C’est un phénomène psychologique complexe, souvent symptomatique de tensions au sein d’une entreprise. Derrière chaque tâche reportée se cache parfois un déséquilibre entre les objectifs, les ressources disponibles, et le sens perçu du travail. Comprendre les causes de cette tendance permet non seulement d’en limiter les conséquences, mais aussi d’agir sur la qualité de vie au travail (QVCT).

PROCRASTINER N'EST PAS UNE FAIBLESSE, C'EST UNE RÉACTION

– Le stress, un moteur paradoxal

La procrastination au travail n’est pas une simple question de paresse. C’est souvent une réponse à des émotions difficiles, comme l’anxiété ou la peur de l’échec. Cette manifestation, parfois renforcé par le perfectionnisme, devient une stratégie d’évitement : on repousse une tâche pour se protéger d'une angoisse… ce qui en génère encore plus. Des études, dont une publiée dans JAMA Network Open, montrent que la procrastination chronique est liée à une augmentation des troubles du sommeil, de l’anxiété, de la dépression et même de douleurs physiques. Elle devient donc un facteur de mal-être, bien loin d’un simple manque de volonté.

– Un contexte à questionner

Un environnement professionnel dysfonctionnel, caractérisé par un manager toxique, des échéances irréalistes et un manque de soutien, peut considérablement accentuer la procrastination parmi les employés. Plutôt que de considérer la procrastination comme un simple défaut individuel, il est essentiel de la reconnaître comme le symptôme d'un contexte organisationnel défaillant.​ Par exemple, The Open Psychology Journal a révélé une corrélation positive entre le fait d'être un procrastinateur et les réponses au stress, suggérant que les environnements de travail stressants peuvent renforcer les comportements procrastinatoires.​ La procrastination, dans cette situation, devient un indicateur précieux de la qualité de vie au travail (QVCT). Pour agir efficacement, les employeurs ont tout intérêt à clarifier les priorités, valoriser l'autonomie et créer un climat de confiance.

– UN ENVIRONNEMENT FLOU, UN MOTEUR D'INACTION

– Trop d’ambiguïté, pas assez de repères

Quand les objectifs changent chaque semaine, que les délais sont flous et que les priorités ne tiennent pas plus d’une journée, il devient difficile de savoir par où commencer. Les équipes se retrouvent dans une sorte de brouillard opérationnel. Elles avancent à vue, tentent de deviner ce qui est vraiment attendu, hésitent… puis finissent par ne plus bouger. Parce que dans le doute, on préfère souvent ne rien faire que risquer de se tromper. Ce n’est pas de la mauvaise volonté. C’est une réaction logique à un environnement instable.

– La charge mentale monte en flèche

À force de devoir tout interpréter, tout décider sans cadre clair, les collaborateurs s’épuisent. Ce flou constant crée une tension de fond : on passe plus de temps à gérer l’incertitude qu’à se concentrer sur les tâches elles-mêmes. Le cerveau tourne en boucle, les to-do lists s’allongent, et plus rien ne paraît simple. Résultat : chaque tâche devient un poids, chaque décision une charge supplémentaire. Et quand la charge mentale déborde, le réflexe, c’est l’évitement.

– Un symptôme collectif, pas un échec individuel

Il faut sortir de l’idée que procrastiner, c’est forcément mal faire son travail. Bien souvent, c’est une manière – inconsciente ou non – de résister à une organisation mal cadrée. C’est un signal que quelque chose ne fonctionne pas. C’est aussi le signe qu’il manque des repères stables, du sens, ou tout simplement du soutien. Sanctionner ce comportement revient à passer à côté d’un indicateur précieux. Il vaut mieux poser la question : qu’est-ce qui, dans notre façon de travailler, rend l’action si difficile ?

DES STRATÉGIES CONCRÈTES POUR UNE TRANSFORMATION DURABLE

– Des conseils pour contrer cette "flemme"

Pour contrer cette tendance, les entreprises peuvent adopter des stratégies concrètes, comme :

Définir des objectifs clairs, accompagnés de délais réalistes

Plus de clarté dans les objectifs permettent de lever les ambiguïtés qui alimentent la procrastination. Couplés à des échéances atteignables, ils offrent un cadre motivant sans ajouter de pression inutile.

Encourager l’autonomie et la reconnaissance au quotidien

Donner de la marge de manœuvre et valoriser les efforts renforce l’engagement. Un collaborateur qui se sent utile et respecté est plus enclin à passer à l’action.

Offrir un cadre de travail bienveillant

où chaque personne peut s’exprimer sans crainte

Introduire des rituels de priorisation et d'organisation

liste de la journée, répartition par blocs de 30 minutes, moments dédiés à la concentration.

Bien évidemment, d'autres stratégies pourraient être mises en place, mais ces premiers axes d'amélioration aideraient déjà grandement à contrer ces cas de procrastination.

– Changer la culture de l’entreprise

Plutôt que de sanctionner la procrastination, pourquoi ne pas l’écouter ? Derrière ce comportement, souvent mal compris, se cache parfois une tentative d’adaptation à un lieu de travail mal structuré ou à une activité mal définie. Analyser la procrastination avec compréhension permet non seulement de révéler des problèmes organisationnels, mais aussi de repenser en profondeur les modes de fonctionnement de l’entreprise. À terme, cela peut avoir des effets concrets sur la productivité et l’efficacité des équipes. Transformer un comportement perçu comme négatif en levier d’amélioration devient alors une stratégie gagnante. En mettant en lumière les causes de l’inaction, l’employeur peut ajuster ses pratiques, valoriser les petites victoires quotidiennes, offrir des récompenses adaptées et cultiver un environnement sain. Le résultat ? Une dynamique où chaque personne trouve sa place et où l’effort est reconnu, dans un lieu de travail où la motivation redevient moteur.

EN FAIRE UNE FORCE COLLECTIVE

La procrastination au travail ne devrait plus être perçue comme un simple défaut individuel, mais comme un indicateur précieux du climat organisationnel. Elle révèle des déséquilibres : entre stress et soutien, objectifs et clarté, attentes et sens. Loin d’être un problème isolé, elle touche à la fois l’individu et le collectif. Les causes sont nombreuses — surcharge mentale, manque de cadre, absence de reconnaissance — mais les pistes d’amélioration le sont tout autant : clarifier les priorités, favoriser l’autonomie, créer un environnement de travail bienveillant. Transformer la procrastination en outil d’observation, c’est permettre à l’entreprise de s’ajuster et d’accompagner ses collaborateurs vers un travail plus fluide, plus humain et plus motivant.

Et si, au lieu de combattre la procrastination, on l’écoutait réellement ? Non pas pour excuser l’inaction, mais pour en comprendre les racines. Car derrière ce « retard » se cache souvent des questions sur la pertinence d’une tâche, la cohérence d’un objectif, ou même la santé d’un environnement. Peut-on imaginer une organisation où chaque barrière devient une invitation à repenser notre manière de travailler, plutôt qu’un échec à cacher ? Peut-être que la vraie performance commence là : dans la capacité à faire silence, à observer… et à évoluer.